Guillaume Vales, moniteur d’escalade et penseur à ses heures perdues, nous amène à réfléchir sur la décision prise par la Parc National des calanques et la gestion des accès à Sugiton/Luminy :

« Ça y est l’opération QRcode Sugiton est lancée. Le Canard Enchaîné du 4 mai s’en est fait l’écho. D’ici fin juin il faudra avoir réservé plusieurs jours à l’avance sur internet pour obtenir un QRcode d’accès, à présenter via son smartphone et l’application PNC à télécharger ou après une visite dans les bureaux du parc ou ils imprimeront le précieux sésame. Ce nouveau sésame digital à durée éphémère symbole moderne du pouvoir technocratique ou ceux qui savent décident pour tous de ce qu’ils peuvent ou non faire dans l’intérêt du bien commun. Les récalcitrants ou les insouciants seront verbalisés (68€) et le PNC aiguillera la foule des refoulés vers d’autres rivages…

Nous vivons dans un monde plein, et les espaces de nature sont de plus en plus rares et de plus en plus convoités. Au niveau local les confinements successifs et au niveau national et international la création du PNC ont accéléré le mouvement; via pour le PNC une exposition médiatique renforcée et pour les confinements, un appétit de plus en plus partagé pour la pleine nature.

Cette année la calanque de Sugiton, quelle sera la prochaine étape? Envau, Marseilleveyre, Morgiou, Sormiou, puis tout le territoire du P.N.C.? puis d’autres parcs nationaux ou régionaux, puis les plages du Prado? les jardins publics? Plus les accès à la nature seront contingentés plus l’effet de souffle viendra saturer les autres espaces encore disponibles à travers un effet domino.

En fait, la logique semble implacable. La nature est essoufflée, saturée, il y a de plus en plus de monde motivé pour y aller, on va donc limiter l’accès et décider de qui ira ou non. La nature devient un parc à thème, ou un manège, on distribue un certain nombre de tickets, puis « Off », revenez un autre jour pour aujourd’hui c’est complet. La jauge étant bien entendue décidée du haut pour le bien commun et futur.

Comment être contre cela ? Dois t’on ouvrir les vannes ?

Il y a de plus en plus de monde(s) dans les calanques, c’est un fait et protéger l’espace sans l’interdire est le débat insoluble, l’aporie, la quadrature du cercle.

Guillaume Vales - SPPN
Guillaume Vales - SPPN

Mais avant d’arriver à cet oukaze technocratique, injuste, injustifié et dangereux (dangereux pour le futur de notre liberté de circuler, pour la nature elle même à travers tous ceux qui vont sortir des chemins balisés et jouer au chat et à la souris, dangereux pour l’image du parc à travers les probables réactions de rejet voire de colère des refoulés ou des sanctionnés…), il y avait sûrement d’autres solutions ?
Plus d’information, de sensibilisation au milieu; aménager, prévoir et communiquer sur d’autres point d’accès aux calanques pour lisser le trafic ailleurs dans le parc; continuer l’effort entrepris pour baliser des zones à protéger en priorité en canalisant les flux sur les sentiers (surtout en proximité de la mer); mettre en place des points de collecte des déchets…

Etc… les idées doivent exister, et il y a certainement bien d’autres alternatives au QRcode bureaucratique.

 

Pour le PNC la solution simple à ce problème complexe est de couper le flux à la base. STOP on ne passe plus, la nature ne supporte plus l’homme, il n’appartient pas à cet endroit. Vade retro retourne dans ton centre ville. Le QRcode est une panacée, un « costume unique pour tous », il permet d’appliquer pour « notre » intérêt (voire parfois pour notre « sécurité ») une discrimination immédiate, bornée dans le temps et indifférenciée. Dans le même sac les gentils randonneurs amoureux de la nature, les touristes étrangers de passage, les habitués naturistes des pierres tombées, les familles marseillaises avec chiens glacières et poussettes, les bandes de jeunes et moins jeunes avec soundbox et pétards, etc… etc…

Et sinon quoi faire… favoriser l’éclosion d’un PNC virtuel dans le métaverse afin que les amoureux de la nature puissent en jouir via des casques et combinaisons ?
Détruire les routes goudronnées, débaliser les sentiers (opération encours pour certains sentiers annexes..) et planter des épineux et autres pyracantha tel un maquis corse impénétrable?
Ou encore entourer le pourtour du PNC d’une clôture barbelée équipée de dispositifs anti-franchissement telles les barrières anti migrants autour de l’espace Shengen ?

Il n’y a pas de solution simple. Mais cette « solution » du QRcode typiquement technocratique et injuste risque d’être sur le moyen/long terme pire que le mal.

Individuellement je désapprouve cette restriction de la liberté à accéder à cet espace de nature que nous respectons et protègeons. Professionnellement je ne me sens pas concerné car les sorties que nous encadrons en tant que professionnels de pleine nature sont autant d’occasions de sensibiliser les participants à la fragilité et la beauté de cet espace précieux, et de plus nous ne sommes que de passage sur les bords de mer proprement dit. Collectivement, enfin, je suis contre cette mesure qui a force de symbole, et représente un dangereux précédent qui risque de faire des « petits »,  cette solution n’est ni pérenne, ni justifiable et sa mise en application risque d’être pour le moins « problématique »… »

Guillaume Vales, Moniteur escalade des calanques